Sur le plateau, le silence s'installe, le moteur lancé, la bobine tourne, et… Action !
Après la peinture, la photographie, vint le cinéma, l’art de capturer des images en mouvement. Une petite révolution naquit avec les frères Lumières et Thomas Edison dans l’ultime décennie du XIXème siècle. La narration a ensuite accordé au cinéma une place prestigieuse parmi les arts, devenant le septième art.
En tant que spectateurs, nous percevons le monde à travers l'objectif de la caméra. Celle-ci agit comme un intermédiaire entre nous et l'histoire qui se déroule devant elle, jouée par des acteurs. La caméra devient le narrateur, révélant, conciliant, se rapprochant ou s'éloignant du sujet. Elle accompagne et manipule, tissant ainsi une histoire visuelle.
Le scénariste donne un point de vue à l’histoire écrite dans le script, tandis que le réalisateur la transpose visuellement, insufflant sa propre vision. La caméra est au réalisateur ce que les mots le sont pour l’écrivain. Si la littérature utilise des citations, le cinéma, lui, exploite des plans. Cependant, ne négligeons pas ce qui se passe devant la caméra : le jeu des acteurs. Comme un metteur en scène, le réalisateur orchestre une danse, une valse entre la caméra, son jouet, et la scène, avec ses acteurs comme partenaires.
Cette valse peut être simple, se limitant à des plans fixes sans déplacements d'acteurs, comme dans un classique champ-contrechamp avec des personnages assis à une table de bar, par exemple. Cependant, l'idée d'animer le cadre ou de dynamiser la scène avec des acteurs en mouvement peut rendre cette danse plus complexe et d’autant plus captivante. La caméra devient alors un personnage à part entière.
Le metteur en scène a deux options : capturer le moment en un seul plan, créant ainsi un plan-séquence, ou découper la scène en plusieurs plans, réalisant ainsi, ce que l’on nomme, un découpage. Comme des pas de danse, ces plans doivent s'accorder en harmonie, formant ce que l'on appelle le "staging".
En face, les acteurs interagissent, se déplacent, dialoguent, créant une chorégraphie particulière avec les objets et le décor. Ce processus est connu sous le nom de "blocking".
Il n'y a pas de plans ou de séquences corrects ; la clé réside dans l'histoire et la vision claire du réalisateur. Chacun apporte sa patte distinctive, et c'est ainsi que la magie du cinéma prend forme.
Comment les plus grands font danser leur caméra ?
Les Maîtres de la Danse Cinématographique : Tarantino, Spielberg et Kubrick en Action
Quoi de plus instructif que d'explorer quelques scènes de génies cinématographiques tels que Tarantino, Spielberg ou Kubrick pour plonger dans l'art de la mise en scène ?
Considérée par certains comme étant la scène d’ouverture par excellence, Tarantino nous livre un incipit dantesque en ouverture d’Inglourious Basterds. Le colonel Landa, vient prospecter la maison de Monsieur LaPadite à la recherche de juifs cachés. L’objectif de notre personnage est clair. Naturellement, LaPadite, maitre de la maison, souhaite les protéger. Conflit est et va rythmer la scène. La tension est à son comble et la scène devient un sommet de suspense. La force de cette séquence réside dans la personnalité, aussi sadique soit-il, du Colonel Landa, qui, bien qu'ayant le pouvoir, joue avec son hôte laissant languir la tension. Il n’hésite pas à faire croire à son hôte qu’il a le pouvoir par moment, nous trompant aussi avec la caméra. Les mouvements de la caméra sont motivés, quasiment exclusivement, par les déplacements et mouvements de Landa. De plus, dans chaque plan il est présent, même en amorce. Il contrôle. Pour intensifier la tension, les plans larges du début, au cours de la conversation avec LaPadite se resserrent progressivement, pour seulement relâcher la pression vers le milieu en élargissant le plan. Toutefois, le saut de la ligne des 180 degrés annonce le pire, rajoutant une couche à la tension. Tarantino resserre ensuite de nouveau les plans. LaPadite craque, le plan s’élargit de nouveau avant le climax fatal. Tarantino vient de nous concocter un chef-d’oeuvre de mise en scène du cinéma. Chaque plan est réfléchit et calibré avec la scène.
© 2009. Universal Pictures
J’ai mentionné que Tarantino brise la règle des 180 degrés. Qu’est ce que donc cette règle ? Sans rentrer dans des détails techniques, lors d’une conversation entre deux personnages face à face majoritairement, il est conseillé de tourner chaque champ et contrechamp du même côté pour garder une logique géographique et une continuité fluide à l’écran. Un saut des 180 pourra déstabiliser l’audience, ainsi on évite sauf si on veut annoncer quelque chose, un danger par exemple, comme Tarantino le fait ici.
Si l'on cherche un maitre du plan séquence, Hitchcock et Spielberg se distinguent. Dans Jurassic Park, le Dr. Alan Grant a une certaine aversion pour les enfants, ainsi quand John Hammond, créateur du parc l’invite à partager la visite avec ses petits-enfants, il ne s’en réjoui guère. Au moment où tous s’apprêtent à monter dans les 4x4, Tim fasciné par l’archéologie et quelque peu intrusif ne se démord pas pour venir titiller le docteur.
Quoi de mieux pour mettre en avant la souffrance vécu par le docteur, que de faire tenir en allèle la tension et l’enfermement vécu, en tournant la scène en plan séquence ? Ainsi tout du long la caméra suit le docteur constamment suivit à la trace par Tim, alors qu’il jongle de voiture en voiture. De plus, la caméra va même se rapprocher pour montrer cette étouffement et piéger le docteur. La fin de la scène, quand il arrive enfin à se débarrasser de Tim en l’enfermant dans un 4x4, la caméra recule, élargissant le plan, le laissant respirer, avant d’être interrompu net par la grande soeur de Tim. La caméra s’arrête brusquement comme notre docteur, créant un effet visuel saisissant. Le plan séquence ne consiste aucunement à placer la caméra pendant de longues secondes à attendre mais plutôt à un changement de plans successifs, sans coupe, dans le mouvement, dynamisant la scène.
© 1993. Universal Pictures
Master dans la composition : Kubrick. Ses compositions cohérentes et claires offre des fresques sublimes, si ce n'est des tableaux. Dans Clockwork Orange, pour diriger notre regard, Kubrick utilise non seulement les acteurs, leurs regards et leurs positionnements mais aussi les lignes du décor. Il n’hésite pas à jouer avec l’ironie pour montrer qu’un personnage ment, notamment dans ce plan (ci-dessous) l’ombre du personnage vient se poser sur la fresque murale greco-romaine. Si vous observez bien, l’ombre de sa bouche se place exactement devant un pénis, illustrant une fellation. Si ce n’est du pur génie. Un art de la subtilité et du subtext maitrisé à la perfection.
© 1971. Warner Bros. Pictures
Barry Lyndon est quant à lui un musée cinématographique à part entière, une œuvre que l'on doit contempler pour en saisir toute la richesse picturale.
© 1975. Warner Bros. Pictures
Questionner les objectifs de ses personnages, scruter les dynamiques de chaque scène et du film dans son ensemble est la clef pour chorégraphier une danse cinématographique qui demeura gravée dans les annales du septième art. Que se soit Kubrick, Spielberg ou Tarantino, chacun d'entre eux maîtrise l'art de chorégraphier des valses uniques et majestueuses au sein de leurs œuvres. La subtilité de la plupart de ces analyses échappe souvent à l'audience, mais c'est précisément grâce à ces détails que nous trouvons le plaisir de visiter et revisiter ces films. On ne saurait toujours expliquer pourquoi un film nous captive, mais c'est dans l'analyse minutieuse que se révèle le génie cinématographique. Sans cette danse orchestrée avec finesse, les films seraient dépourvus de saveur, ternes et dénués d'intérêt. Avec elle, ils offrent une magie inégalée, presque d'ordre divin.
image de couverture : © 1963. Pathé Cinéma
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