1963, Cléopâtre, super-production, la plus onéreuse de l’histoire ; l’équivalent de 400 millions de dollars actuels, du gigantisme à foison ; troupeau d’éléphant, tigres de Bengale, scène d’ouverture surdimensionnée, pourtant le cinéma est en chute libre. La fréquence est passée en à peine dix ans de plus de 3 milliards d’entrées en 1950 à moitié moins en 1960 (chiffres CNC).
Paradoxalement, les majors cherchent à faire du magnifique, du grandiose pour espérer un retour des audiences. Stratégie très risquée qui aurait pu être fatale à l'industrie du cinéma, notamment à la 20th Century Fox, qui a failli sombrer avec l'échec financier de Cléopâtre. Pourtant, malgré ces défis, les grands studios sont toujours présents aujourd'hui, produisant des films à budget de deux cents millions de dollars et réalisant des milliards de dollars au box-office, même si la révolution des plateformes et le covid fragilise le système.
Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Comment Hollywood a-t-il réussi à survivre et à prospérer malgré ces turbulences ?
Spielberg, Scorsese, De Palma, Georges Lucas, Coppola, quelques noms de légendes du cinéma. Avant leur blockbusters et leur règne sur le cinéma, ils ont réalisés des films peu couteux, abordant des sujets de société, proches de la population, réels et maniables, parfois radicaux et moralement discutables pour leur époque. Un nouveau mouvement artistique et de production naquit : Le Nouvel Hollywood. De ce fait, films pas cher, rapportant beaucoup, et attirant les audiences, a forcément attiré l’oeil des mastodontes d’Hollywood. Le code d’Hays a signé son testament, un système de notation l’a supplanté. Un nouveau système émergea.
Qu’est-ce donc ce nouvel Hollywood ?
Pour mieux comprendre cette évolution, cet article se penchera sur le film de Brian De Palma, "Phantom of the Paradise," qui incarne parfaitement l'esprit du Nouvel Hollywood.
Phantom of The Paradise
Brian de Palma nous offre un film qui restera dans le temps comme représentation du mouvement du Nouvel Hollywood. "Phantom of the Paradise" est un film d'horreur musical de Brian De Palma sorti en 1974. Le film raconte l'histoire de Winslow Leach, un compositeur de musique ambitieux qui est trahi par un magnat de l'industrie musicale, Swan. Winslow est alors jeté en prison et défiguré avant d'être libéré. Désormais, il cherche à se venger de Swan en sabotant le spectacle qu'il a créé, le “Paradise". “Phantom of the Paradise” est une satire de l’industrie musicale de l’époque. Sorti en 1974, le film bien qu’iconique aujourd'hui fut un fail au box-office et reçu des critiques farouches.
"Phantom of the Paradise” est une ‘grossière’ adaptation du roman de Gaston Leroux “The Phantom of the Opera”, ainsi que du mythe de Faust. Ayant eu l’occasion d’assister à une représentation du chef-d'œuvre en comédie musicale à Broadway, l’histoire présentée dans le film m’a directement remémoré l’histoire originale. Par ailleurs, De Palma eut des problèmes à la sortie du film avec Universal qui l’accusa du plagiat de leur adaptation cinématographique sorti quelques années plus tôt.
La fin de l’âge d’or
“Phantom of the Paradise” s’imprègne de l’essence du Nouvel Hollywood. Le Nouvel Hollywood est une nouvelle vague arrivée à Hollywood à la fin des années 1960 après la chute du Studio System gouverné par les grands producteurs américains (les ‘big five’) et notamment grandement contrôle et censuré. En effet, sans rentrer dans les détails, les films devaient suivre des directives pour obtenir une exploitation dans les cinémas, dictées par le code d’Hays avec une commission chargée de valider les films et de les censurer au besoin. Très proche de l’Église et de la politique du Maccarthysme, la sexualité sur l’écran, ou la violence, ou toutes politiques trop à gauches de l’échiquier étaient interdites. Ainsi, les films se limitaient à seulement à certains genres bien définis et codifiés voulant montrer la ‘bonne’ moralité américaine à suivre. Cependant, toute suprématie à une fin.
Le cinéma n’était pas considéré comme une liberté d’expression aux yeux de la loi, néanmoins la cour suprême acta en 1952 suite au scandale autour de l’Amore de Roberto Rossellini, que le cinéma serait maintenant considéré comme un moyen d’expression. Cela changea tout. Comme la constitution américaine le dit, “It [the first amendment] protects freedom of speech.” (constitution américaine, White House). Ajoutons à cela, les dépenses exorbitantes et les échecs commerciaux de plusieurs gros films qui faillirent faire couler de grandes société de production et l’arrivée de la télévision, il fallut innover. Perdant le contrôle, les productions durent abandonner leur manière de faire. L’Europe avec les mouvements de nouvelle vague notamment en France menaçaient le cinéma hollywoodien en déclin. Il fallait produire à moindre coût et démocratiser Hollywood.
Le Nouvel Hollywood
Dès lors “de nouveaux réalisateurs, plus jeunes, assirent leur réputation et se montrèrent aussi ouverts a l'influence du nouveau cinéma européen qu'à celle du vieux cinéma hollywoodien.” (Kim Newman, Tout sur le Cinéma, 2011). Spielberg, Scorsese, Coppola, De Palma, Arthur Penn pour n'en citer que quelques uns. Les films de gang (The Godfather) refirent leur apparition notamment. On assista à l’arrivée des road movies, mais pas que. Le Nouvel Hollywood a insufflé un vent de fraîcheur et de créativité dans l'industrie cinématographique, bouleversant les conventions et encourageant la diversité artistique.
“Phantom of the Paradise” suit les codes du cinéma du Nouvel Hollywood. Grandement inspiré des mouvements de nouvelles vagues européens notamment français, la théorie de l’auteur commence à s'immiscer à Hollywood. Le film de De Palma est un parfait exemple. En effet, De Palma réalisa le film, mais l’écrit aussi. Quelque chose très rare dans l’ancien Hollywood où la production avait avant tout le pouvoir sur film. Maintenant, l’auteur prend le pouvoir, pour le meilleur comme pour le pire. Le personnage de Winslow (William Finley) est un anti-héros. Bien que l’on s’identifie avec le personnage dû à l’injustice qu’il subit. On lui vole sa chanson puis le manipule pour lui voler son œuvre toute entière. Winslow ne nécessite pas de tuer pour prendre sa revanche. Menaçant de mort Beef (Gerrit Graham) s’il chante sa chanson puis le tuant sans remords. Le film aborde plusieurs thèmes propres au mouvement du Nouvel Hollywood, tels que la critique de l'industrie culturelle, la dénonciation de l'injustice et de la corruption, et la révolte contre l'autorité établie. En effet, les années 1960 et 1970 voient l’arrivée de mouvement anti-guerre contre la guerre du Vietnam. Alors que le gouvernement américain fut toujours soutenu par un patriotisme surdimensionné, la presse et la jeunesse l’attaquèrent publiquement. Dans le film de De Palma, on assiste à une critique directe de l’industrie musicale et du tout pouvoir des producteurs tout-puissant. Swan (Paul Williams) a fait un pacte avec le diable. Il est représenté comme un monstre, un tirant, un profiteur, un manipulateur, remettant en question les normes de l'époque, notamment la misogynie prévalente au sein de l'industrie musicale. Ce qui n’est pas de mieux pour ces troupes qui sont machistes. Brian De Palma nous présente ici une satire brutale de l’industrie musicale.
Nouvelle génération, nouvelle culture Le film reflète aussi de l'époque e climat culturel des années 1970, avec sa représentation de la culture rock et de la jeunesse rebelle. La bande-son du film est un atout majeur, illustrant la quête de liberté et d'expression personnelle caractéristique de cette époque de bouleversements sociaux et culturels aux États-Unis.
Bien que classé PG (Parental Guidance), explore des thèmes de nudité et de violence qui étaient considérés audacieux pour l'époque. N'oublions pas qu’en 1974 le cinéma vint de sortir il y a de ça une décennie du Studio System. Les filles sont présentées en petite tenue, en bikini. La sexualité est explicitement et implicitement montrée dans le film notamment au travers du personnage de Swan et de sa manipulation des femmes pour ses propres plaisirs. On ne peut pas oublier la violence. Bien que le sang est clairement du faux sang (on dirait de la peinture rouge.), on n’hésite pas à l’utiliser de manière excessive surtout lors du climax lors de la scène finale sur scène. Également, lors du spectacle ‘Paradise’, bien que mis en scène et fausse les membres du groupe qui chantent vont semblant de démembrer des gens. L'excès atteint son paroxysme. L'esthétique visuelle de "Phantom of the Paradise" est également représentative du mouvement du nouvel Hollywood. Le film utilise une palette de couleurs vives et saturées, des costumes extravagants et une utilisation inventive de l'éclairage pour créer une ambiance visuelle unique. Le film de De Palma ne nécessite pas d'aller dans la caricature et dans l’exagération. (couloirs rouges éclatant, gros écriteaux, etc…)

Le film est une fusion de différents genres, allant du rock'n'roll au fantastique en passant par la comédie musicale. La comédie musicale avec les chansons interprétées. Le rock’n’roll avec la bande sonore. Et le fantastique avec le pacte avec le diable de Swan ou encore la résurrection de Winslow quand il tente de se suicider, ne pouvant se tuer, car il a signé un contrat ‘ensorcelé’ avec Swan. Avec le Nouvel Hollywood, les genres traditionnels furent remaniés par le renouvellement générationnel opéré à Hollywood. De nouvelles têtes apparurent à l’écran, de nouveaux techniciens de l’image, de nouveaux réalisateurs, de nouveaux producteurs notamment.
Phantom of The Paradise & Sa Réalisation
Le film de De Palma regorge de clins d'œil à l'histoire du cinéma. L'utilisation de plans en grand-angle, de plongées et de contre-plongées évoque inévitablement le style d'Orson Welles, en particulier son film emblématique, "Citizen Kane." De plus, De Palma rend hommage au cinéma expressionniste allemand des années 1920, en témoigne notamment la scène sombre et orageuse devant la villa/manoir de Swan. En outre, une scène mémorable où Winslow menace Beef sous la douche fait écho à Alfred Hitchcock et à la célèbre scène de la douche dans "Psycho." Malgré son engagement envers le Nouvel Hollywood et l'innovation, le film n'oublie pas de rendre hommage à ses racines cinématographiques et de célébrer les influences qui ont façonné son esthétique.

Conclusion En conclusion, "Phantom of the Paradise" est un film important du mouvement du Nouvel Hollywood, qui a contribué à repousser les limites du cinéma hollywoodien traditionnel en adoptant une approche plus personnelle et expérimentale de la création cinématographique. On assiste à une réelle liberté artistique de la part des jeunes filmmakers comme De Palma le fait ici. Le film est également emblématique de son époque, avec sa représentation de la culture rock et de la jeunesse rebelle, et exprime les aspirations de toute une génération. Cette période du cinéma est sûrement une des plus riches et diverses. La liberté artistique offerte aux auteurs permit à des chefs d’œuvres du cinéma se sortirent (aussi à des navets). Le Nouvel Hollywood fut un moment de transition dans le cinéma américain que sûrement, nous ne revivront pas de si tôt, quoique qui sait, peut-être prochainement ? Une période sur 20 ans qui fondèrent les bases d’Hollywood de nos jours. Que serait le cinéma d’aujourd’hui sans Spielberg, De Palma, Scorsese, Coppola, Woody, Kubrick, Scott, etc. Toutefois, ses cadors, rebelles d’hier, opposant des studios sont devenu leur meilleur allié et ami. Comme le souligne Jean-Gabriel Fredet dans sont ouvrage Les Sept Vies d’Hollywood : “Dans les années 1980, grisés par leur succès, les «Movie Brats» ont fini par s’embourgeoiser […] les Spielberg, Lucas, Brian De Palma ont jeté aux orties leurs ambitions réformatrices.” (Jean-Gabriel Fredet, 2023).
Filmographie
Phantom of the Paradise, Edward Pressman, dir. Brian De Palma. 1974. 20th Century Fox.
Psycho, Alfred Hitchcock, dir. Alfred Hitchcock. 1960. Shamley Productions.
Bibliographie
Jean-Gabriel Fredet (2023). Les Sept Vies d’Hollywood. Stock.
Kim Newman (2011). Le Nouvel Hollywood. Flammarion (ed.). Tout sur le cinéma. Philip Kempo. Paris pp. 272-274.
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