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L’Auteur au Cinéma, une bénédiction passée, un fardeau présent?

Writer's picture: Mathieu FaisnelMathieu Faisnel



Film d’auteur rime avec ennuie, lenteur, expérimentation parfois. C’est un monde où l'indépendance artistique est une valeur incontestée, où l'intellectuel supérieur règne en maître, chéri par les critiques de cinéma. Nous sommes ici en présence de l'élite du septième art, bien que ses créations ne soient pas celles qui font le plus de bruit au box-office. Il est vrai que certains films d'auteur se targuent de cette élite et peuvent s'avérer véritablement ennuyeux. Cependant, il serait injuste de généraliser. Dans ce vaste panorama, on trouve des œuvres qui suscitent des critiques élogieuses, mais aussi d'autres qui essuient les tempêtes de la désapprobation. La notion d'auteur elle-même est un concept mal compris, une balançoire oscillant entre les extrêmes.


D’où vient cette terminologie ? Parler d’auteur au cinéma remonte à quand ? Qu’est-ce la théorie de l’auteur ? Pourquoi l’auteur est né sur grand écran ? Comment la théorie a révolutionnée le cinéma ? Fut-elle une bénédiction passée ou un fardeau présent ?


Cet article s'attellera à définir la théorie de l'auteur, une approche complexe et sujette à différentes interprétations. Il tentera également de pousser à la réflexion sur la place de cette théorie et son évolution au sein du cinéma français, sa terre de naissance, mais cet article se penchera principalement sur la scène cinématographique internationale.


Le film & son réalisateur


Si je vous demandais de me présenter un film, vous associeriez en premier ce film à son réalisateur. Nous présentons le film de quelqu’un. Interstellar de Christopher Nolan, Pulp Fiction de Quentin Tarantino, Jurassic Park de Steven Spielberg, Vertigo d’Alfred Hitchcock, Les 400 cents coups de François Truffaut pour ne citer que les plus grands. Par exemple, dans cette réflexion j’introduis chaque film par son réalisateur ou sa réalisatrice. Pourquoi donc le réalisateur est présenté comme l’auteur du film? Pourquoi pas le producteur, ni le scénariste? Pourriez-vous citer les noms des producteurs et des scénaristes ? Vous en avez peut-être quelques-uns en tête, mais il est certainement plus difficile de les associer à leurs films respectifs. La tache devient plus compliquée. Contrairement à ce que l’on pourrait penser à certaines époques le réalisateur n’était pas le premier nom mis en avant, mais plutôt celui de la production et celui des acteurs. De nos jours, on associe toujours des acteurs emblématiques à leurs films. Tom Cruise à Mission Impossible, Johnny Deep à Pirates des Caraïbes. Pendant l'âge d'or d'Hollywood, c'est-à-dire des années 1930 aux années 1960, le réalisateur était souvent considéré avant tout comme un employé de la production, ayant signé un contrat, plutôt qu'un auteur au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Cependant, le "Studio System" à Hollywood, où les studios de production avaient le pouvoir, n'a pas empêché certains grands réalisateurs de se faire un nom. Des noms comme Orson Welles et Fritz Lang en sont des exemples probants.

Il est également important de noter qu'un réalisateur peut être le scénariste de son propre film, ce qui renforce son rôle d'auteur. La théorie de l'auteur est souvent le résultat d'une affirmation explicite de la part du réalisateur, revendiquant son statut de réalisateur-scénariste, ou elle se manifeste de manière implicite à travers les médias et la façon dont le film est présenté. Alors, d'où provient cette notion d'auteur-réalisateur ?


Naissance de l’auteur


Le réalisateur est auteur de son film. Qu’est ce que cela veut dire? Pour comprendre ce concept complexe et cette approche singulière du cinéma, il est essentiel de se pencher sur l'origine de la théorie de l'auteur. En 1954, le critique français et futur réalisateur François Truffaut publia dans les Cahiers du Cinéma un article percutant, dans lequel il condamna ce qu'il appelle le "Cinéma de qualité" (1954, 15). Un cinéma dans lequel le savoir-faire commercial écrase les aspects artistiques et créatifs. En d'autres termes, une production cinématographique qui limite la portée narrative mais aussi les possibilités étendues de la caméra. Afin de révolutionner cette approche conventionnelle, Truffaut proposa de renforcer le pouvoir accordé à l'"auteur", qu'il nomme "homme de cinéma", à savoir le réalisateur lui-même (1954, 15a, 15b). Cette proposition s'inscrivait dans un contexte où un nouveau mouvement cinématographique prenait son essor dans les années 1950 et 1960, la Nouvelle Vague française, mettant en lumière un nouveau type de réalisateurs. Parmi eux, des figures telles qu'Agnès Varda, François Truffaut, Jean-Luc Godard, pour n'en citer qu'une poignée. Ici nous ne traiterons pas du mouvement mais celui-ci est intiment lié à la notion de l’auteur. Cette vision novatrice migra outre-Atlantique à Hollywood dans les années 1970, donnant naissance au mouvement du Nouvel Hollywood, et se propagea dans le monde entier, inspirant différentes vagues cinématographiques dans de nombreux pays. En 1962, le critique de cinéma américain Andrew Sarris contribua à l'analyse et à la définition de la théorie de l'auteur en établissant trois principes fondamentaux : une technique distinctive, un style personnel, et une signification intime. En résumé, la théorie de l'auteur proclame que le film appartient au réalisateur, et c'est à lui qu'il revient de recevoir le mérite qui lui est dû.

Pour mettre en évidence l'ampleur internationale qu'a prise la théorie de l'auteur depuis les 1950 jusqu'à aujourd'hui, je me pencherai sur “Wild Strawberries” (1957) d'Ingmar Bergman et “Sweet Beans” (2015) de Naomi Kawase. Ingmar Bergman est un réalisateur suédois renommé qui a réalisé de nombreux films, dont “The Seventh Seal” en 1957. “Wild Strawberries” narre l’histoire d’un professeur médecin âgé, Isak Borg, qui entreprend un voyage, accompagné de sa belle-fille, pour recevoir un doctorat honorifique. Au cours de ce voyage en voiture, Isak Borg confronté à sa fin de vie qui approche, il rasasse son passé et ses souvenirs, entamant ainsi une profonde introspection. De l’autre côté du globe, Naomi Kawase est une réalisatrice japonaise qui a commencé sa carrière cinématographique dans le documentaire avant de se consacrer aux films de fiction. Souvent, ses films sont centrés sur sa région natale ; Nara. Cependant, le film sélectionné, “Sweet Beans” se déroule à Tokyo. “Sweet Beans” possède une personnalité spécifique et peut être distingué de l'industrie cinématographique japonaise.


Une signature personnelle


Les deux réalisateurs, Bergman et Kawase, peuvent être qualifiés comme des auteurs de leurs films car ils manifestent chacun un style cinématographique et des thèmes personnels. Avant que la théorie de l'auteur n'apparaisse à partir des mots de Truffaut en 1948, Astruc, un critique de cinéma français défini une nouvelle avant-garde. Astruc déclara : "[le cinéma] devient progressivement un langage. Par langage, je veux dire une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer ses pensées." (1948, 18) Astruc appela cette période prospective du cinéma : "l'ère de la caméra-stylo" (1948, 18). "Caméra-stylo" peut être traduit par "caméra-plume". La plume comme l'instrument qu'un auteur utilise pour écrire une histoire. Dans ce sens, il est nécessaire d'étudier et de comprendre les thèmes avec lesquels un réalisateur s'engage par rapport à ses expériences et ses motivations personnelles. Sarris a défini ce point comme "signification intérieure" (1962, 563). Il est fondamental d'examiner le style individuel du réalisateur par rapport aux techniques qu'il utilise pour transcrire ses pensées à l'écran et sur le plateau de tournage. Sarris a défini ce point comme "style caractéristique" et "compétence technique" (1962, 563a, 562b).


Tant Bergman que Kawase ont une enfance singulière. Différente mais liée en termes de manière dont elle les a forgés. Kawase fut élevée par sa grand-mère à Nara, une région isolée de la vie citadine animée du Japon. Bergman fut élevé dans une éducation stricte et religieuse par un pasteur luthérien dévot et discipliné. Les années tumultueuses de Bergman influencèrent sans aucun doute sa perspective dans ses films. Tous deux reflètent des thèmes similaires dans leurs films, tels que la mort et la perte. Dans “Wild Strawberries” de Bergman, Isak Borg fait face à sa propre mort. Cela est explicitement illustré dans le cauchemar d'ouverture. Isak se voit lui-même dans un cercueil. Le cadavre le saisit et Isak ne pouvant l’arrêter, ne peut échapper à son destin. Un sentiment de regret émerge. Dans “Sweet Beans” de Kawase, la femme âgée compétente embauchée par Sentaro pour l'aider à cuisiner des pâtisseries aux haricots souffre de la maladie de Hansen, communément appelée la lèpre. Marginalisée de la société, les thèmes de la mort et de la perte sont aussi omniprésent. À la différence de “Wild Strawberries”, la nature occupe une place prédominante dans “Sweet Beans” mais aussi dans tous les films de Kawase. Il est légitime de se demander si, dans une certaine mesure, les films de Bergman ou de Kawase peuvent être considérés comme autobiographiques.


Cependant, ces deux réalisateurs expriment leurs pensées et leur vision cinématographique à travers des "signatures" distinctes qui définissent leurs approches uniques. Bergman est un fervent partisan du "Cinéma de chambre", un style narratif minimaliste où seuls les éléments essentiels sont exposés à l'écran. Comme l'a souligné Jean-Luc Godard, "Bergman a développé un ensemble cohérent de techniques de réalisation visant l'essentiel" (1958, 2). Concrètement, Fabio Pezzetti Tonion a défini le “Cinéma de chambre" comme étant "un cinéma dans lequel les personnages, les relations, les décors et même les pratiques de mise en scène seraient distillées" (2008, 7). “Wild Strawberries” en est un exemple parfait. Le nombre de personnages y est restreint et ils n'apparaissent à l'écran que lorsque cela est nécessaire pour aider à faire avancer l’intrigue. Le groupe de jeunes est là uniquement pour refléter la relation de Bergman quand il était jeune entre son frère, lui-même et son amour d’antan, qui finit par partir avec son frère. D’un point de vue cinématographique, Bergman est un fervent partisan du gros plan. Le gros plan est un outil couramment utilisé par les réalisateurs pour souligner l'impact émotionnel d'un personnage. Bergman a déclaré lui-même : "Peut-être que j'ai tort, mais pour moi, le grand don de la cinématographie est le visage humain" (2018). “Wild Strawberries” commence par un gros plan sur le visage d'Isak endormi et cet outil cinématographique est utilisé à de nombreuses reprises, que ce soit dans une scène de cauchemar ou tout au long du film.


Le cinéma de Kawase se distingue de celui de Bergman, mais le nombre de personnages y est également limité. Seuls trois personnages dominent l'histoire : Tokue (la vieille femme), Sentaro (le chef cuisinier) et Wakana (la jeune femme). Pour bien appréhender le style de Kawase, il est nécessaire de définir ce qu'est le "cinéma d’art”. Comme le souligne Bordwell, “le cinéma d’art anime son récit par les principes du réalisme et de l’expressivité, de l’auteur et privilégie les dispositifs stylistiques pour représenter un continuum réaliste de l'espace et du temps" (1999, 718-19). En d'autres termes, le cinéma d'art est construit autour de trois principes : le réalisme, l'auteur et l'ambiguïté (Erin Schoneveld, 2019). Schilling a décrit Kawase comme "ultra-artiste" (12). En effet, Kawase utilise de nombreuses techniques cinématographiques qui lui permettent de transmettre un "cinéma d'art" : "utilisation minimale du montage, accent mis sur le silence, manipulation des durées temporelles, structures narratives lâches ressemblant à la vie réelle, et préoccupation pour la réaction plutôt que l'action" (Erin Schoneveld, 2019, 13). Ce n'est pas surprenant, étant donné que Kawase a commencé sa carrière dans le documentaire. Afin d'analyser le style propre de Kawase, nous nous concentrons sur “Sweet Beans” et une scène spécifique. Au début de “Sweet Beans", après avoir embauché Tokue, la vieille femme cuisine avec Sentaro les pâtisseries aux haricots de bon matin. Aucune musique n'est jouée. Les répliques ne font pas avancer l'histoire mais créent un dialogue de la vie réelle. Le silence est entrecoupé par les sons de la nature environnante, tels que le chant des oiseaux et les bruits d'insectes, ainsi que par des gestes simples comme le versement de l'eau. De plus, de nombreux plans s'étirent bien au-delà de la durée moyenne moderne de dix secondes (Richard Barsam et Dave Monahan, 2016). Bien que "Sweet Beans" puisse remettre en question certains aspects du style caractéristique de Kawase, de nombreux éléments propres à la réalisatrice sont explicitement présents à l’écran.


Tant Bergman que Kawase ont développé un style personnel et peuvent être considérés comme les auteurs de leurs films selon la théorie de l'auteur. Cependant, serait-il juste de les considérer uniquement du point de vue de l'auteur ?


Une notion limitante et réductrice ?


Depuis le début de cet article, seul un membre principal de l'équipe de production a été mentionné, à savoir le réalisateur. Cependant, comme nous le savons tous, un film n'est pas réalisé par une seule personne mais par de nombreuses personnes qui ont une expertise dans un domaine spécifique et qui occupent un rôle spécifique. Il serait inexact de négliger l'importance du producteur dans la réalisation cinématographique. Jesse Lasky, l'un des fondateurs clés de ce qui allait devenir Paramount Pictures, déclara un jour : "Entre ses mains [du producteur] se trouve la supervision de chaque élément qui constitue le produit fini" (1937, 1). Cela regroupe l'aspect créatif, comme l'a remarqué David O. Selznick : "Il [le producteur] doit être capable non seulement de dire 'Je n'aime pas ça', mais de dire au réalisateur comment il le dirigerait lui-même" (1937 ; 1988, 473). Le producteur a le devoir de constituer une équipe de production cohérente. Le producteur a la responsabilité de diriger cette équipe de production. Le producteur est en partie responsable de la promotion, du marketing et de la distribution du film. Que ce soit dans “Wild Strawberries” ou “Sweet Beans”, de nombreuses personnes autres que le réalisateur ont travaillé dans la production du film. Selon IMDb®, Allan Ekelund était le producteur de “Wild Strawberries”. Cependant, il n’a pas été crédité pour le film. Il est à noter que le film a été produit et diffusé en 1957, à l'époque de la domination de la théorie de l'auteur dans l'industrie du cinéma. Quant à “Sweet Beans”, selon IMDb®, quinze types de producteurs différents ont travaillé sur la production du film. Le film a été diffusé en 2015, c'est-à-dire après les années 1980, lorsque la nouvelle approche historique : "nouvelle histoire du cinéma", a commencé à émerger. Comme le définit le "Dictionnaire Oxford des études cinématographiques", la "nouvelle histoire du cinéma" est "une approche empirique et basée sur les sources de l'histoire du cinéma qui tient compte des questions de spécificité du médium ainsi que des contextes variés de production et de réception" (2020, 332-333).


Expliqué dans "Production Studies: Cultural Studies of Media Industries", la réalisation d'un film est une entreprise collaborative où de nombreuses personnes différentes occupent des rôles spécifiques tels que les monteurs, les opérateurs de caméra, les techniciens, pour n'en citer que quelques-uns. “Sweet Beans” de Kawase fut nominé et remporta plusieurs prix dans de multiples festivals internationaux de cinéma. Le film a notamment été projeté à Cannes en 2015. Comme expliqué précédemment, la promotion, le marketing et la distribution du film sont en partie assurés par le producteur. Les festivals de cinéma ont émergé après la Seconde Guerre mondiale en Europe en parallèle de la théorie de l'auteur. Les festivals de cinéma louent souvent la production indépendante de films internationaux. Pour contrer la domination du "cinéma de qualité", les réalisateurs profitèrent et profitent toujours de ce moyen pour promouvoir leurs films. “Wild Strawberries” de Bergman sorti en 1957, une année charnière dans l'industrie des festivals de cinéma. “Wild Strawberries” remporta l'Ours d'or au Festival international du film de Berlin en 1958. Il fut également nominé par le "Cahiers du Cinéma's Top 10 Film Award" pour le meilleur film en 1959. Cette reconnaissance internationale ouvrit la voie au film pour remporter le Golden Globe du meilleur film étranger aux États-Unis en 1960.

Le cinéma national et le festival


Le concept de cinéma national a également pris de l'importance. Tel que défini dans le "Dictionnaire Oxford des études cinématographiques", le cinéma national consiste à "situer les films et les cinémas dans leur contexte national et/ou à traiter la production cinématographique d'un pays comme un objet distinct d'étude" (2020a, 325-326). Dans ce sens, il est important de prendre en compte que "les films produits dans un contexte national particulier reflèteront une certaine distillation de l'histoire, de la culture sociale et politique de ce pays", mais qu'ils "jouent également un rôle dans la construction de l'identité nationale" (2020b, 325-326). Revenons au Japon. Le cinéma national japonais permet de célébrer une alternative au cinéma classique hollywoodien, provenant de grands auteurs mais principalement masculins. Une autre limite de la théorie de l'auteur peut être soulignée ici. L'organe français de la théorie de l'auteur ne prend pas en compte les femmes ou très peu. Même si de nombreuses réalisatrices ont tenté de stimuler, tout au long du XXe siècle, l'émergence de l'auteurisme féminin, comme Alice Guy-Blaché, il a fallu beaucoup de temps avant qu'une place puisse être faite aujourd'hui pour les femmes au sein de la théorie de l'auteur.


Kawase, avec son style caractéristique, "affirme le régionalisme comme une nouvelle forme de nationalisme", également connue sous le nom de "cinéma du lieu" (Erin Schoneveld, 2019, 14). Kawase a ouvert une nouvelle voie pour le cinéma national japonais et cela lui a permis d'être positionnée sur le devant de la scène avec ses films. Ses débuts dans le documentaire ont mis en place les prémices de son cinéma. Malgré les critiques qui lui reprochent de ne pas s'engager sur des questions politiques ou sociales, cette "superficialité", comme l'a analysé Takushi Odagiri, lui permet d'être indépendante par rapport au cinéma classique japonais (2019, 368). Ce faisant, Kawase refuse de faire du cinéma féminin. Elle ne promeut pas une approche féministe, comme elle l'a exprimé à plusieurs reprises, et comme l'a également confirmé Erin Schoneveld, professeur de langues et cultures de l'Asie de l'Est et des études visuelles. Par exemple, Kawase a remporté la Caméra d'Or en 1997 pour "Suzaku" à Cannes. “Sweet Beans” fut nominé et reçu de nombreuses distinctions lors des Asian Pacific Screen Award, mais a également été nominé au Chicago International Film Festival en 2015.

Cependant, malgré une reconnaissance mondiale, la stratégie des festivals de cinéma, comme le dit Kawase elle-même : "le prix n'est qu'un outil" (2016), présente des limites. En effet, le cinéma national est créé non pas pour un public local, mais pour un public étranger : "Ainsi, la valorisation de Kawase, en tant qu'auteur à travers une combinaison de prix internationaux, a créé un concept de cinéma national qui ne correspond pas nécessairement au système de studio du Japon ou au public national" (Erin Schoneveld, 2019, 5). Il s'agit d'une autre illustration des limites que peut engendrer l’auteurisme.


À travers “Wild Strawberries” d'Ingmar Bergman et "Sweet Beans” de Naomi Kawase, nous avons exploré deux réalisateurs de différentes époques et de styles cinématographiques. Tous deux ont cherché à influencer la manière dont les films étaient produits en utilisant la théorie de l'auteur comme fondement. Cependant, au fil du temps, cette théorie a évolué et s'est étendue à divers contextes culturels, formes cinématographiques et industries. Mais en ayant évolué par rapport à son intention initiale, la théorie de l'auteur a commencé à montrer ses limites et ses faiblesses. Les festivals de cinéma internationaux ont joué un rôle prédominant dans la promotion de l'approche de l'auteur au cinéma, mais ils ont également, dans une certaine mesure, restreint la sphère d'influence du film. Louée par l'industrie dans les années 1960, des voix critiques du milieu, notamment des producteurs, ont commencé à émerger à la fin des années 1980 avec l'apparition du mouvement de la "nouvelle histoire du cinéma", tel que défini par le "Dictionnaire Oxford des études cinématographiques" comme "une approche de l'histoire du cinéma qui prend en compte les questions de spécificité du médium ainsi que les contextes variés de production et de réception" (2020, 335-226).


Une bénédiction passée ou un fardeau présent ?


il est essentiel de contextualiser la théorie de l'auteur, comme tout principe. Elle est née d'un besoin de renouveau et doit être utilisée dans son contexte d'origine. Bien qu'elle ait évolué et se soit propagée, elle ne peut pas être appliquée de la même manière qu'à ses débuts. Certains la considèrent comme une limite, tandis que d'autres la voient comme une source d'innovation. Je n'ai pas de position tranchée sur cette question, mais je crois qu'il ne faut ni la rejeter complètement ni l'accepter aveuglément. Elle a révolutionné le cinéma. Son héritage et son influence à changer la manière d’interpréter et d’approcher les films. Elle a ouvert de nouvelles possibilités et de nouveaux horizons. Néanmoins, il ne faut pas l’appliquer comme tel de nos jours. Il faut regarder la théorie de l’auteur comme un héritage et un outil. Faire usage de la théorie de l’auteur est avant tout une question d’analyse, d’angle de vue avant d’être un objet marketing et d’affirmation des réalisateurs. Peut-être une affirmation revendiqué proche d’un égo, d’un narcissisme ? Le cinéma français s’est peut-être trop encré dans cette notion ce qui limite son potentiel ? Je vous laisse vous faire votre avis, à réfléchir, à débattre. Cet article n’est qu’une réflexion personnel sur la notion d’auteur au cinéma. La théorie de l’auteur est un concept complexe mêlant objectivité avec subjectivité. Il s’agit d’un outil avant tout pas d’une vérité universelle. Chacun peut en tirer sa propre interprétation. On pourra toujours la critiquer ou en faire l’éloge.



Filmographie


Sweet Beans, Koichiro Fukushima, dir. Naomi Kawase. 2015. Kino Lorber.


Wild Strawberries, Allan Ekelund, dir. Ingmar Bergman. 1957. AB Svensk Filmindustri.


Bibliographie


Astruc, Alexandre (1948) “Naissance d’une nouvelle avant-garde,” in L’Écran Française no. 144.


Barrett, Alex (2018) ‘How Ingmar Bergman mastered filming faces’. BFI. Disponible sur: https://www2.bfi.org.uk/news-opinion/news-bfi/features/ingmar-bergman-faces-close-ups


Barsam, Richard and Monahan, Dave (2016) Looking At Movies: An Introduction to Film. 5th ed. New York and London, W.W. Norton & Company.


Bordwell, David (1999) ‘Art Cinema as a Mode of Film Practice’. Leo Braudy and Marshall Cohen (eds.) Film Theory and Criticism: Introduction Reading. New York and Oxford. Oxford University Press, pp. 716-724.


Erin Schoneveld (2019) ‘Naomi Kawase’s “Cinema of Place”’. pp. 1-18.


Jean-Luc Godard (1958) ‘Bergmanorama’. Cahiers du Cinéma. 15 (85), 2.


Kuhn, Annette and Westwell, Guy (2020) Oxford Dictionary of Film Studies. 2nd ed. Oxford, Oxford University Press. pp. 325-326 and 332-333.


Lasky, Jesse (1937). ‘The producer makes a plan’. N. Naumburg (ed.). We Make The Movies. New York, W.W. Norton & Company. pp. 1-11.


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Odagiri, Takushi (2019) ‘Kawase Naomi’s introspective Style: Aesthetic Surfaces of World Cinema’. Tani Barlow (ed.). Positions: Asia Critique. 27 (2). Duke University Press. pp. 361-396.


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Selznick, David (1937; 1988) ‘The Function of the Producer and the Making of Feature Films. Memo from David O. Selznick. R. Behlme (ed.), Los Angeles, 473-74.


Tonion, Fabio Pezzetti (2008) Bergman. In memoriam. Towards a Chamber Cinema: The Tension between Realism and Abstraction in Ingmar Bergman’s Cinema. University of Turin.


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