“Nous reviendrons sur les déclarations du ministre de l’économie après la pub.”, annonça le présentateur.
"Cinq minutes !" Dès que la lumière rouge devant la caméra s'éteignit, les techniciens du plateau se mirent frénétiquement au travail, s'occupant de la lumière, de la caméra et du son. Dans cette effervescence, la maquilleuse et coiffeuse fit son entrée sur le plateau, munie de poudre, d'une éponge et d'un pinceau pour retoucher le teint du présentateur, qui avait les yeux rivés sur son téléphone. Tout ce petit monde forma un orchestre bien accordé.
Au fond, dans un coin, tapi dans l’ombre, se tenait Vincent, un jeune stagiaire qui avait rejoint la chaîne, depuis trois semaines. Cette expérience marquait ses premiers pas dans le monde professionnel, suite à l'obtention d'une licence en communication et son intégration à un prestigieux institut parisien pour un master en journalisme. Aujourd'hui, il se voyait offrir une occasion extraordinaire, bien qu'il demeure en coulisses. Ce serait sa première incursion sur un plateau télévisé, un moment qu'il chérirait à jamais.
Il avait boutonné une chemise blanche immaculée, déniché de sa garde robe son costume bleu marine construit par un tailleur qui époustouflait sa silhouette, noué une cravate assortie à sa veste. Il avait soigneusement coiffé ses cheveux soyeux et impeccables, appliquant une noisette de cire pour parfaire sa mise en beauté. Tout avait été méticuleusement préparé pour ce moment exceptionnel, sa première apparition sur un plateau télévisé. Bien qu'il restât en coulisses, il avait voulu être à la hauteur. Des pensées se bousculaient dans sa tête : "Pourrais-je serrer la main de John Ferry ?" songea-t-il, le présentateur iconique dont il ne loupait aucune émission.
"À l'antenne dans trois minutes !" annonça le régisseur. Vincent se détacha du mur et fit quelques pas en direction du présentateur. "C'est le moment !" s'exhorta-t-il intérieurement. C'était une opportunité rêvée. "Que devrais-je dire ? Un simple bonjour ? Trop banal." Il fit deux pas de plus, franchissant l'axe des caméras. Il n'était pas encore sous les projecteurs, mais son épaule apparaissait à l'écran. Heureusement, c'était la pause publicitaire. La maquilleuse avait fini et s'en était allée. C’est alors que les regards de Vincent croisèrent ceux de John Ferry. "Oh, il me regarde." Le présentateur lui offrit un sourire, faisant battre le cœur de Vincent de plus en plus fort. Cependant, le sourire du présentateur s'estompa soudainement. "Oh non, qu'est-ce que j'ai fait ?” s’inquiéta Vincent. John se mit à tousser, son visage s'empourpra, puis le présentateur chuta de sa chaise.
L'orchestre se tut, figé. Depuis la régie, "Antenne dans une minute" annonça le régisseur. Il se retourna. "Où est John ?" La réponse se limita à un vide désespérant.
Sur l'écran de contrôle du régisseur, les secondes s'égrenaient une à une : cinquante-deux, cinquante-et-un, cinquante. La maquilleuse, brisant le silence, s'avança avec un claquement de talons jusqu'au corps inanimé étalé sur le plateau. "Il respire ?" interrogea le régisseur. "Il respire", assura la maquilleuse.
Le régisseur balaya le plateau du regard, de droite à gauche, à travers la vitre, puis revint sur notre jeune homme vêtu de bleu marine. "Toi !" dit-il en pointant du doigt Vincent. Vincent se retourna brusquement, son regard accroché à celui du régisseur. Il n'osa pas y croire. "Non, non, ce n'est pas possible", pensa-t-il. "Réveille-toi ! Trente secondes, prends ta place !" Vincent fut poussé vers une chaise, veillant à ne pas trébucher sur son idole. En un clin d'œil, la maquilleuse passa une légère touche de poudre sur son visage. La symphonie résonna de nouveau.
"Tu lis le prompteur", ordonna l'assistante. "Le prompteur ?" murmura Vincent dans sa tête. "Réveille-toi !" dit l'assistante en claquant des doigts. "D'accord, d'accord", murmura Vincent. Il cligna des yeux, fixant l'assistante droit dans les yeux. "Allez, mon p'tit ! Tu peux le faire." L'assistante s’éclipsa.
"À l'antenne dans dix..." Une goutte de sueur glissa et perla sur le front de Vincent. “Neuf...” Il entendit son cœur battre de plus en plus fort. “Huit...”, "Calme-toi !” dit-il dans sa tête. Ses pensées venaient d’entreprendre une valse effrénée. “Sept...”, “Plus de retour en arrière possible” “Six...”, “Pourquoi moi ?” “Cinq...”, “Sourit”, “Quatre...”, “J’ai jamais fait ça moi” “Trois...”, “Objectif, ne pas foirer”, “Deux...”, “Un dernier souffle”, “Un...”, “Un ?” “Go !”, “Je suis le meilleur !"
Toute l'équipe le fixa, les yeux grands ouverts. Le régisseur, la bouche ouverte, stupéfait. Vincent n'était plus perdu dans ses pensées, il avait prononcé à voix haute sa dernière réflexion.
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