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À la Croisée des Genres : Décryptage du Road Movie à travers "Y tu mamá también" d'Alfonso Cuarón

Writer's picture: Mathieu FaisnelMathieu Faisnel


Quelqu'un pourrait préférer un western à une comédie tandis qu'un autre préférera la comédie. Dans l'univers du cinéma, les préférences varient d'une personne à l'autre, et le genre d'un film est souvent l'un des principaux critères qui influencent le choix du public. Mais qu'entend-on réellement par "genre" ? Beaucoup utilisent ce terme sans avoir une idée précise de sa signification. Est-ce une catégorie rigide ou flexible ? Peuvent deux genres ou plus se mélanger ? Autant de questions auxquelles nous nous s’efforcerons à réfléchir et analyser.


Beaucoup de questions auxquelles nous allons répondre dans cet article. Tout d'abord, jetons un coup d'œil à deux types principaux de films, le film narratif de fiction, certainement le plus courant dans le cinéma grand public, et le documentaire.


Le film de fiction & le documentaire


Pour amorcer notre exploration, penchons-nous sur deux des principales catégories de films : le récit de fiction, prédominant dans le cinéma grand public, et le documentaire. Ces deux types de films se distinguent par leur approche narrative et, par conséquent, leur traitement cinématographique. Une fiction raconte une histoire fictive à travers une intrigue, tandis qu'un documentaire se fonde sur des événements factuels, néanmoins tout deux obéissant à un récit basé sur des causes et des effets, comme le soulignent Richard Barsam et Dave Monahan (2016). Si l'on regarde le cinéma à ses débuts, en réalité, les premiers films étaient plus proches du documentaire, représentant des événements réels, comme l'a relevé Tom Gunning (1990).



Le Road Movie & "Y tu mamá también” d’Alfonso Cuarón


Dans cet article, notre réflexion sur la notion de genre se focalisera sur le "road movie" et sera illustrée à travers le film "Y tu mamá también" d'Alfonso Cuarón.


Le road movie ne fait pas partie des six principaux genres américains et a émergé après la chute du système des studios dans les années 1960, en parallèle à la montée du Nouvel Hollywood, qui partageait de nombreuses similitudes avec la Nouvelle Vague française. L'une des tendances des années 1960 et 1970 était de tourner en extérieur, dans des lieux réels. C'est à partir de là que le road movie a pris forme.


Le genre cinématographique


Cependant, il est important de noter que l'étude du genre est complexe, car le genre est un concept qui n'a pas été créé délibérément, mais qui s'est développé spontanément à Hollywood. Comme indiqué dans "Looking At Movies: An Introduction to Film", "Genre is often brought about inadvertently- not through any conscious plan" (Richard Barsam et Dave Monahan, 2016, 86).


Aucun producteur n'a délibérément créé un genre, et aucun public n'en a formulé un. Il s'agit plutôt d'une relation entre le processus de création cinématographique et les attentes du public, comme l'affirme Thomas Schatz : "we may consider a genre film not only as some filmmaker’s artistic expression but further as the cooperation between artists and audience in celebrating their collective values and ideals " (1981, 15). Le genre n'est pas absolu, le genre est malléable, un concept en perpétuelle discussion.


Le Road Movie et l’idéal de liberté


Dans ce sens, le road movie émergea. Son émergence découle du contexte culturel des années 1960 et 1970. Les événements marquants de cette époque, tels que le scandale du Watergate en 1974, la guerre du Vietnam et l'émergence d'une nouvelle génération rebelle, ont suscité le désir de changement et d'une quête de liberté. La voiture, produite désormais en masse et à prix cassé notamment avec Ford et son système de production en chaine, était devenue le symbole ultime de la liberté, offrant la possibilité aux jeunes Américains d'explorer n'importe quel coin du pays, de partir à l’aventure. Nous laisserons à la philosophie de questionner la notion de liberté. Bien que l'appel à la liberté ne soit pas un concept nouveau et ait déjà été utilisé de nombreuses fois par le passé, il l'est toujours de nos jours.


Le road movie correspond à un idéal de liberté. Dans "Y tu mamá también," les trois protagonistes, Julio, Tenoch et Luisa, voient la voiture comme un moyen d'échapper à leurs problèmes. Par exemple, Luisa, qui découvre tardivement qu'elle est atteinte d'un cancer et que son mari l'a trompée, aspire à fuir ses soucis.

Ainsi, le road movie incarne l'idéal de liberté, ancré dans le contexte culturel et social de son époque. Ce genre cinématographique, tout comme les autres, est une réflexion continue entre les cinéastes et leur public, évoluant au fil du temps tout en conservant sa capacité à captiver les spectateurs avec des histoires fascinantes et des explorations artistiques uniques.


Dans le monde du cinéma, le road movie est un genre fascinant qui a évolué au fil des décennies pour refléter les évolutions culturelles et sociales. Alors que l'idée du voyage sur les routes américaines est souvent associée à la liberté et à l'aventure, il est important de noter que cette vision n'a pas toujours été la même pour tous les Américains. Un documentaire poignant intitulé "Driving While Black" met en lumière les défis auxquels les Afro-américains sont confrontés en voyageant sur les routes américaines, en faisant référence au tristement célèbre "Green Book".


L'Évolution du Road Movie à travers “Y tu mamá también”: Un Regard sur l’Existentialisme


Le road movie, en tant que genre, aborde des thématiques spécifiques. Dans les années 1960, le monde subissait d'importants bouleversements, et le road movie a su capturer ces transformations. "Y tu mamá también" en est un exemple notable, où les trois protagonistes se lancent dans un voyage qui les pousse à une introspection profonde. Le genre du road movie se penche sur l'existentialisme, explorant l'introspection de l'existence humaine.


L'existentialisme, une philosophie qui a pris de l'ampleur dans les années 1960 et 1970 grâce à des penseurs tels que Jean-Paul Sartre, se démarque par son accent sur l'introspection personnelle. C'était une perspective rare dans le cinéma américain, qui privilégiait souvent des thèmes plus traditionnels et moraux à l'époque des grands studios.


Chaque genre peut être disséqué pour explorer son anatomie, comme l'explique Thomas Schatz dans son ouvrage "Film Genre and the Genre Film", 1981). Le road movie ne fait pas exception avec ses archétypes de personnages bien définis. Dans "Y tu mamá también", les deux adolescents incarnent l'archétype du voyage initiatique, étant jeunes et crédules, tandis que Luisa, plus âgée et mariée, incarne le personnage en quête de fuite, à la fois d'elle-même et de sa vie.


Le road movie suit généralement une structure narrative linéaire, et "Y tu mamá también" n’y déroge point. Il n'y a pas de flashbacks, ce qui permet au public d'observer l'évolution des personnages, en particulier des adolescents.


Un élément incontournable du road movie est bien sûr le rôle de la voiture en tant moyen de transport, comme c'est le cas dans "Y tu mamá también". Cependant, il est important de noter que, même si la voiture est le choix le plus courant, d'autres moyens de transport peuvent également être exploités dans ce genre cinématographique, comme le mentionne Amanda Sklair Delgado dans son travail de 2017 : ”Shaw does recognise that this is not a conventional Road Movie " (Amanda Sklair Delgado, 2017, 2).


L'Évolution du Road Movie à travers “Y tu mamá también”: La Flexibilité des Genres Cinématographiques


Le road movie est un genre américain popularisé dans les années 1970, mais "Y tu mamá también" est un film mexicain réalisé en 2001. Cela signifie-t-il qu’un genre n'est pas rigide mais flexible ? Cela souligne que les genres cinématographiques ne sont pas figés, mais évoluent pour s'adapter aux évolutions culturelles et morales de la société. Comme mentionné précédemment, un genre cinématographique est avant tout une relation entre le public et le film, et il doit évoluer pour rester pertinent.


Un aspect de l'anatomie du road movie qui mérite d'être exploré est le cadre. Souvent, comme dans "Y tu mamá también", le road movie se déroule dans des paysages vastes et désolés, ponctués de petits villages le long de la route. La route elle-même devient un personnage influent dans l'aventure des protagonistes, rappelant ainsi le genre du western. La quête de la liberté est également un thème récurrent en écho à l'appel de l'Ouest dans les films de western. Le road movie emprunte ainsi des caractéristiques à d'autres genres cinématographiques.


En s'ouvrant au-delà des frontières des États-Unis, le road movie a indéniablement évolué, comme le démontre "Y tu mamá también". Réalisé au Mexique, le film d'Alfonso Cuarón s'adapte aux conventions du road movie tout en explorant les réalités socio-économiques de son pays et de son époque. Il est important de reconnaître que chaque film doit parler à son public, et les films des années 1970 ne traitent pas les thèmes de la même manière que ceux des années 2000. Par conséquent, "variation is absolutely necessary to keep the type from becoming sterile." (Warshow, 1962, 147).


En fin de compte, le road movie est bien plus qu'un simple genre cinématographique. Il est le reflet de l'évolution de la société et de la manière dont le cinéma s'adapte pour répondre aux besoins et aux préoccupations de son public. "Y tu mamá también" est un exemple éloquent de cette évolution, montrant que les films peuvent transcender les frontières culturelles et temporelles pour offrir une expérience cinématographique riche et pertinente.


L'Évolution du Road Movie : De la Migration Américaine à "Y tu mamá también"


Le Road Movie, ce genre cinématographique si emblématique, ne s'est pas développé dans le vide, puisqu'il puise ses racines dans la riche histoire et la société américaine. L'idée de migration et de voyage a toujours été ancrée dans la culture des États-Unis, et l'émergence du Road Movie a coïncidé avec l'ascension de l'automobile dans ce pays. Cette notion de migration et de voyage est à l’origine même de l’existence et la fondation des États-Unis. C'est ainsi que Neil Archer conclut sa réflexion sur le genre en soulignant que "the way our reading of genre is related to cultural norms and beliefs .” (2017, 518).


Le Road Movie, un documentaire ?


Un autre aspect crucial à prendre en compte est l'avancée des techniques de réalisation cinématographique, comme le met en lumière Thomas Schatz. La comparaison entre "Vanishing Point," considéré par beaucoup comme une référence du Road Movie, sorti en 1971, et "Y tu mamá también" révèle des différences marquées dans la façon dont ces deux films ont été tournés.


Bien que le Road Movie soit généralement classé dans la catégorie des films de fiction, il se distingue des genres conventionnels par son processus de réalisation, qui évoque davantage le documentaire par moment. En tournant sur des lieux réels, l'équipe de tournage se retrouve en terrain moins contrôlé qu'un studio, ce qui l'oblige à s'adapter, s'inspirant ainsi des techniques du documentaire. "Y tu mamá también," par exemple, emploie la caméra portée à l'épaule, la narration en voix off, et d'autres techniques caractéristiques du documentaire. De plus, la narration du Road Movie emprunte des éléments au documentaire en offrant des histoires plus réalistes, au point que le public se demande parfois si ce qu'il voit est réel ou fiction.


L'engagement social qui caractérise de nombreux Road Movies, comme mentionné précédemment, rappelle l'engagement social que l'on trouve dans certains documentaires. "Y tu mamá también" intègre certains aspects du documentaire d'observation, comme l'indique Neil Archer. Tout au long du voyage des protagonistes, le film fait des allusions à des problèmes socio-économiques qui évoquent la réalité mexicaine contemporaine. À un moment donné, un véhicule transportant ce qui semble être des trafiquants de drogue armés dépasse la voiture des trois protagonistes. Amanda Sklair Delgado, de l'Université de Londres, fait valoir que “this further highlights the importance of the unseen over the Road Movie structure " (2017, 2). Cela illustre la souplesse du genre du Road Movie.

Ainsi, "Y tu mamá también" respecte les principes fondamentaux de ce que l'on peut attendre d'un road movie. Malgré son adhésion au genre, beaucoup soutiendraient qu'un genre est davantage une manière de classer les films qu'un ensemble strict de règles à suivre pour réaliser un film. Le genre a évolué au fil du temps, reflétant les changements sociaux et culturels. Il était lié à l'optimisme des années 1960 à ses débuts, puis à l'existentialisme des années 1970 après la désillusion de la fin des années 1960.


Des néo-road movies


Originellement pure produit américain, le Road Movie s'est répandu dans le monde entier, chaque cinéma lui donnant sa propre interprétation, en fonction de sa culture, de ses valeurs et de ses perspectives. "Y tu mamá también" en est un excellent exemple. Tout en explorant le concept de liberté et une profonde introspection à travers un moyen de transport, la voiture, les trois personnages entreprennent un voyage introspectif. Bien que "Y tu mamá también" soit incontestablement un Road Movie, il partage de nombreuses caractéristiques avec le western, créant ainsi un lien intéressant entre ces deux genres cinématographiques.


Les Frontières Floues des Genres Cinématographiques


Un genre n'est pas exclusif, mais une compilation de nombreuses caractéristiques que peut partager un autre genre. Dans l'univers du cinéma, les frontières qui définissent les genres ne sont pas rigides, mais plutôt des lignes floues qui se chevauchent. Les films, souvent, ne se laissent pas enfermer dans une seule catégorie, comme en témoigne "Green Book", un chef-d'œuvre qui brouille les pistes en combinant habilement plusieurs éléments de différents genres.


"Green Book" peut être vu comme un road movie, mais certains pourraient tout aussi bien le considérer comme un biopic. Le film nous emmène en voyage sur les routes des États-Unis, ce qui évoque incontestablement le style d'un road movie. Cependant, il raconte aussi l'histoire vraie de l'amitié entre le pianiste Don Shirley et son chauffeur, Tony Lip, offrant ainsi des éléments clés d'un biopic. C'est un exemple parfait de la manière dont les films peuvent transcender les étiquettes traditionnelles pour créer une expérience cinématographique unique.


Poussons encore plus loin la réflexion : le road movie, malgré son caractère fictif, puise abondamment dans l'esthétique et les techniques de réalisation généralement associées au documentaire. Les scènes de voyage, les paysages pittoresques et les rencontres fortuites dans un road movie évoquent le style de la caméra à l'épaule et de l'authenticité propre au documentaire. Cette fusion des genres permet de créer un impact émotionnel puissant sur le public.


En fin de compte, un genre cinématographique ne se résume pas à une simple classification, mais c'est ce qui suscite des attentes chez les spectateurs. Il attire les amateurs de cinéma dans les salles obscures en leur offrant une expérience unique, parfois en mélangeant des éléments de plusieurs genres. C'est cette diversité et cette créativité qui font du cinéma une forme d'art en constante évolution, où les frontières entre les genres sont délibérément floues pour mieux nous surprendre et nous émerveiller.


Filmographie


Driving While Black: Race, Space and Mobility in America (2020) Steven Bennett, réalisé par Rick Burns and Gretchen Sorin. PBS America.

Vanishing Point (1971) Norman Spencer, réalisé par Richard C. Sarafian. Cupid Prod.

Y tu mamá también (2001) Alfonso Cuarón, réalisé par Alfonso Cuarón. Producciones Anhelo.

Bibliographie

Archer, Neil (2017). ‘Genre on the road: the road movies as automobilities research’, Mobilities, 12:4, 509-519.

Barsam, Richard et Monahan, Dave (2016). ‘Chapter 3: Type of Films’ in Looking At Movies: An Introduction to Film, 5th (ed.). New York and London, W.W. Norton, pp. 121-162.

Delgado, Amanda Sklair (2017). Cuaron’s y tu mama tambien. Birkbeck. University of London.

Schatz, Thomas (1981). ‘Film Genre and the Genre Film’, Hollywood Genres (1st ed). New York. Random House, Inc. pp. 15-41.

Tom Gunning (1990) 'The cinema of attractions: early film, its spectator and the Avant-Garde' dans Thomas Elsässer et Adam Barker (eds.), Early Cinema: Space, Frame, Narrative. London. BFI. pp. 56-63.

Warshow, Robert (1962). ‘The Gangster as Tragic Hero’. Partisan Review. Réimprimé dans Immediate Experience. New York. Doubleday and Co.


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